Créer un ordre des journalistes pour garantir au mieux l’indépendance et la protection des professionnels de l’information: l’idée défendue par Olivier Ravanello, membre de la Société des journalistes (SDJ) Canal+ et iTELE, n’est pas nouvelle. Mais elle peine à être appliquée.
Comme l’affirmait l’éditorialiste en mars sur LeMonde.fr, “ seuls les journalistes peuvent garantir l’indépendance d’autres journalistes”. Son projet est donc la mise en place d’un “ordre des journalistes”, soit une autorité indépendante composée de professionnels, comme celle des médecins ou des avocats.
L’épisode qui a fait naître cette idée chez Olivier Ravanello est l’arrivée de Vincent Bolloré à la tête de Canal +. Il craint en effet de voir le nouveau patron exercer une pression (voire une censure) sur la grille des programmes de la chaîne. Récemment, l’annonce de l’entrée de Jean-Marc Morandini chez iTELE a provoqué un tollé : 85% des journalistes de la chaîne ont voté en faveur d’une grève, lundi 17 octobre. Ils expliquent dans un communiqué que le métier de journaliste leur impose “une éthique, une déontologie et une forme d’exemplarité” qui entre en contradiction avec l’image de Jean-Marc Morandini récemment mis en examen.
http://<blockquote class=“twitter-tweet” data-lang=“fr”><p lang=“fr” dir=“ltr”>Les journalistes ont voté à 85% la grève pour protester contre l’arrivée de Morandini. Le courage au service de l’éthique, bravo <a href=“https://twitter.com/itele”>@itele</a>! 👏</p>— Ursus Arctos 🐻 (@Landdry_) <a href=“https://twitter.com/Landdry_/status/787949226475065344”>17 octobre 2016</a></blockquote> <script async src=”//platform.twitter.com/widgets.js” charset=“utf‑8”></script>
Pourquoi créer un Ordre des journalistes ? L’objectif revendiqué est à chaque fois le même : protéger les journalistes face à une direction autoritaire mais aussi sanctionner les manquements à la déontologie d’un ou plusieurs journalistes. Problème, ce projet n’est pas réaliste.
- Journaliste, ça n’est pas une profession libérale
L’absence d’un organe de protection — et de sanction en cas de fautes graves — des journalistes en France s’explique par une particularité de notre corpus juridique. En France, seules les professions libérales « réglementées » disposent d’un Ordre et d’un Conseil de l’Ordre, qui peut statuer sur des manquements à la déontologie.
Or, en tant que salariés, les journalistes ne peuvent pas prétendre à ce droit. Leur donner un autre statut pourrait constituer un danger et entrer en contradiction avec le principe de liberté d’expression et d’information garanti à ceux qui exercent ce métier.
Ce dispositif en étonne certains. C’est notamment le cas de Jean-Pierre Mignard, avocat et maître de conférence à l’IEP de Paris. « Les journalistes professionnels possèdent un droit inaliénable à la confidentialité des sources, ce qui pourrait s’apparenter au secret professionnel des médecins ou de celui des avocats », estimait-il dans un article paru sur Atlantico en 2012.
En Europe, à l’inverse de la France, certains pays ont décidé de faire du journalisme une profession réglementée. En Italie, un Ordre des journalistes existe depuis 1963. Tous les professionnels de l’information ont l’obligation de s’y inscrire. Sa mission principale : la « régulation de la profession » et donc la possibilité de radiations en cas de manquement déontologique. En France, les journalistes qui souhaitent la création d’un tel organe se voient opposer des contraintes qui n’existent pas en Italie.
- En France, il n’existe pas de « charte déontologique commune »
Parmi ces contraintes, la plus importante concerne les règles déontologiques. Pour mettre en place un Ordre des journalistes, il faudrait que toutes les rédactions françaises signent une seule et même charte déontologique. Actuellement, chaque rédaction adopte sa propre charte, qui bien souvent correspond à la ligne éditoriale du média. Le fondateur de l’association critique des médias ACRIMED, Henri Maler, explique que le préalable à la création d’un organe indépendant est l’intégration de charte commune « à la Convention collective nationale de travail des journalistes », qui date de 1935. Or, chaque média est libre de décider s’il souhaite signer ou non cette charte.
Pour Dominique Pradalié, secrétaire générale du SNJ , si cet organe auto-régulateur n’existe toujours pas, c’est parce que les « patrons» seraient hostiles à l’intégration de charte déontologique commune dans leurs rédactions : « En cas de sanctions à l’encontre d’un journaliste, c’est aussi le patron qui sera amené à se justifier ».
- Le Conseil de la presse, solution plus réaliste
« En France, il n’existe pas d’endroit où citoyens et journalistes peuvent dire qu’une information a été mal traitée ou demander réparation sans aller jusqu’aux tribunaux » relève Yves Agnès, ancien journaliste au Monde, et président de l’Association de préfiguration d’un conseil de presse en France (APCP). L’APCP, née en 2006 à l’initiative d’un collectif de journalistes, milite pour la constitution d’un « Conseil de la presse ». Exit « l’Ordre » qui peut effrayer certains journalistes par son côté autoritaire. L’association veut être un espace « de médiation entre les médias et leurs utilisateurs » et donc réguler l’activité journalistique sans pour autant avoir un droit de sanction.
Le Syndicat National des Journalistes (SNJ) rejoint cette ligne. Un « Conseil de la presse » n’aurait pas de réel pouvoir de sanction mais il pourrait néanmoins « donner un avis qui faciliterait le travail de la justice » selon Dominique Pradalié, secrétaire générale du SNJ. Elle explique que l’intérêt d’un Conseil de presse serait « de voir ce qui est arrivé et comment, afin que cela ne se reproduise pas ».
Par Valeria Dragoni & Zahra Boutlelis
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