Ils semblent former une espèce particulière de journalistes : les fact-checkers (ou “vérificateurs”). Ils sont spécialisés dans la vérification des déclarations des hommes politiques et font la chasse à l’intox. De plus en plus de médias ont ouvert leur cellule exclusivement dédiée au fact-checking, indépendante de l’organe principal du titre. Comme si la vérification de l’information était désormais dissociée de l’information elle-même. Dans l’Emission Politique, sur France 2, l’info ne se suffit pas à elle-même. Nathalie Saint-Cricq a sa chronique de fact-check en fin d’émission.
Le champ libre aux intox
Au début du débat de l’entre-deux tours, le 3 mai 2017, les intervieweurs désignés, Nathalie Saint-Cricq justement (cheffe du service politique de France 2) et Christophe Jakubyszyn (journaliste de TF1), déclarent qu’ils n’endosseront pas le rôle des fact-checkers en direct. Ainsi, durant l’émission, ils se contentent de poser des questions, d’orienter le débat et de contrôler les temps de parole des débateurs, Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Un rôle d’arbitre en quelques sorte.
Les journalistes, pourtant théoriquement capables de déceler les intox des politiques, pourraient intervenir en direct afin de rectifier le tir si besoin est. Les deux débateurs avaient ainsi le champ libre pour balader les téléspectateurs, mettre en pratique leurs stratégies de communication, faire parler les chiffres en leur faveur, rester vagues sur les points qu’ils maitrisent le moins et à y aller à grand renfort d’imprécisions.
Des journalistes pas assez solides
« Le véritable problème des débats télévisés, explique Karim Rissouli, journaliste et un temps vérificateur en chef dans L’Emission Politique sur France 2, c’est que les journalistes ne sont pas suffisamment bien préparés. Avant de faire face à un personnage politique, qui a lui-même été coaché par une armée de communicants, un journaliste doit être prêt à 200% pour être capable de fact-checker en direct et sans note. »
Au delà de leur niveau de préparation, Eric Mettout, directeur adjoint de la rédaction de L’Express, estime que les journalistes devraient également être plus spécialisés face à des hommes politiques qui maîtrisent parfaitement leurs sujets.
@cyceron @jmcharon … et pendant l’émission, c’est impossible, c’est du gadget. Fumisterie. Fact checking? Préparer ses dossiers.
— Eric Mettout (@Mettout) October 23, 2012
Dans la pratique, il reste complexe de vérifier une information, en direct, à la télévision. Le journaliste a besoin d’un temps de réaction conséquent, afin de pouvoir prendre du recul. En 2012, David Pujadas reçoit Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre de François Hollande, dans Des Paroles et des Actes. Une équipe de fact-checkers s’occupe de vérifier les déclarations d’Ayrault, mais la tentative est un échec. Le Premier ministre prétend que neuf Français sur dix seront épargnés par la hausse d’impôts. Mais cette information restait très difficilement vérifiable puisque seul le projet de loi de finances, disponible le lendemain, permettait de saisir l’exagération du Premier ministre. Les journalistes n’ont pu constater l’intox que le lendemain.
« Il est difficile de produire des chiffres fiables dans l’urgence et d’autre part, après l’heure, c’est plus l’heure », souligne le journaliste Cyrille Frank, sur L’Observatoire des Médias. Et ce paramètre constitue le biais essentiel du fact-checking en temps réel à la télévision.
Après l’heure, ce n’est plus l’heure
Une fois qu’une idée principale est véhiculée, si elle n’est pas démentie à l’instant T, c’est déjà trop tard. Le temps nécessaire à la vérification de l’information ne correspond que très peu au format télévisuel. Dans L’Emission Politique, Karim Rissouli a eu, durant deux ans entre 2015 et 2017, une chronique en fin d’émission pour vérifier les déclarations des hommes politiques : “Pour chaque émission, on vérifiait en moyenne 70 idées exposées par les invités. Mais ma chronique de fin d’émission ne durait que 7 à 10 minutes, ce qui est évidemment beaucoup trop court pour tout exposer avec précision.”
D’après une étude réalisée en mars 2017 en collaboration avec Oscar Barrera (Ecole d’économie de Paris), Sergeï Guriev (Sciences Po) et Ekaterina Zhuravskaya (Ecole d’économie de Paris) qui se concentre sur le cas du Front national, une idée ou un chiffre donné, même s’ils sont faux, deviennent avérés pour le téléspectateur, qui les retient.
Dans une tribune d’Emeric Henry, sur lemonde.fr, le journaliste et professeur d’économie à Science Po, ajoute que « la vérification des faits n’a aucun impact sur les croyances finales qui mènent les gens à voter. »
#FakeNews “Le fact checking corrige les faits, il n’a pas d’effets sur les opinions” Emeric Henry, prof.@sciencespo https://t.co/274Jm4opfc pic.twitter.com/W0MKt3XZdf
— Sciences Po (@sciencespo) May 11, 2017
“Les médias comme Desintox et Les Décodeurs ont moins d’exposition, souligne Vincent Coquaz, de la cellule Desintox du site Libération“. La télévision est un média de masse, qui touche le public le plus large. Pour lui, le fact-checking vient donc au téléspectateur plus facilement qu’à la radio ou sur le web, où l’utilisateur doit être plus actif / attentif pour y accéder. “Le fact-checking aurait donc plus d’impact s’il était abordé dans le JT du lendemain“, poursuit Vincent Coquaz.
L’exercice n’est en réalité efficace que si l’on met les politiques face à leurs mensonges ou à leurs contre-vérités en direct. Jean-Jacques Bourdin le fait sur RMC. Le fact-checking en live est un exercice difficile, un travail quotidien qui demande plus de préparation et de rigueur. Le fact-checkeur marche s
Ce dimanche soir, Emmanuel Macron accordait son premier entretien télévisé depuis son élection. Sur TF1, il était interrogé par David Pujadas, Gilles Bouleau et Anne-Claire Coudray, sur ses réformes fiscales à venir. Ils se sont contentés de lui poser des questions, sans le fact-checker en direct waye. Libération l’a fait le lendemain, dans un article qui a recueilli tant de vues. L’émission de TF1, quant à elle, a été suivie par 9,5 millions de téléspectateurs.