« L’affaire Nicolas Hulot », enquête publiée en 2018 dans le mag Ebdo, a suscité la controverse en traitant d’une plainte pour viol déposée contre l’ancien ministre. Un des auteurs de l’article, Laurent Valdiguié, revient sur les dilemmes journalistiques qu’il a dû affronter.
8 février 2018. Le cinquième numéro de l’hebdomadaire Ebdo sort en kiosque avec, sur sa Une, le profil du ministre de la Transition écologique et solidaire. Son titre : “L’affaire Nicolas Hulot”. Une enquête de huit pages, écrite par les journalistes Laurent Valdiguié et Anne Jouan, qui révèle qu’une plainte pour agression sexuelle a été déposée contre l’homme politique en 2008. Mettant en cause un ministre en fonction, la publication de “L’affaire Nicolas Hulot” fait scandale. Avec un dommage collatéral : la réputation et crédibilité de journaliste de Laurent Valdiguié.
Ancien rédacteur en chef de Paris Match puis du Journal du Dimanche jusqu’en 2017, le journaliste d’investigation est un habitué des affaires sensibles. Il a déjà écrit plusieurs ouvrages sur des scandales politico-financiers, comme Machinations (2006) sur l’affaire Clearstream, ou Le Vrai Canard (2008), sur les liens entre le journal et le pouvoir sous la présidence de François Mitterrand. En janvier 2018, il rejoint l’équipe d’Ebdo, jeune hebdomadaire d’articles long-format édité par Rollin Publications. Son objectif : proposer des sujets long format et nouer un dialogue permanent avec ses lecteurs.
En publiant leur enquête, Laurent Valdiguié et Anne Jouan pensaient révéler un « secret enfoui depuis vingt ans ». Les faits relatés remontent à l’été 1997, à l’époque où Nicolas Hulot était animateur et producteur de l’émission « Ushuaïa ». Dès sa publication, le ton et la teneur de cette enquête surprennent, compte tenu de la ligne éditoriale plutôt sociétale et “légère” du magazine. Mais “L’affaire Nicolas Hulot” soulève surtout des questions sur le plan de l’éthique et de la démarche journalistique.
“Manque de rigueur”
Une pluie de critiques s’abat sur les auteurs de l’article et sur l’hebdomadaire. Journalistes et représentants politiques lui reprochent d’avoir manqué de rigueur dans la vérification des faits, dont la date et le déroulement restent flous. Ils l’accusent aussi de revenir sur une affaire prescrite et classée par la justice. « Pas de PV, pas de docs, seulement des témoignages imprécis et qui exigent de rester anonymes », critique le Canard Enchaîné. Même son de cloche pour Le Figaro, qui juge l’enquête « légère ». Laurent Joffrin, directeur de la publication de Libération, s’interroge aussi dans un édito du 8 février : fallait-il « publier cette enquête où ne figurent pas les fondamentaux du journalisme, qui, quand, quoi, où ? ».
Face aux critiques, les journalistes du magazine font le tour des médias pour défendre leur enquête. Sauf que pour protéger l’anonymat de la plaignante, les auteurs n’ont pas dévoilé toutes leurs informations dans l’article. D’où, expliquent-ils, un sentiment de manque de rigueur. « Je comprends l’impression étrange qu’ont pu avoir les lecteurs. On a sous-estimé le fait qu’à partir du moment où on respectait l’anonymat de la plaignante, on gommait beaucoup d’éléments pour la protéger, et le lecteur pouvait se dire “il n’y a pas de détail, c’est imprécis” », confie Laurent Beccaria, le cofondateur d’Ebdo, à Marianne en mars 2018.
Quand Nicolas Hulot dément publiquement les faits qui lui sont reprochés, Laurent Valdiguié fait face à un « cas de conscience ». Soit il révèle la « somme de choses, d’éléments matériels, d’enregistrements », qui lui aurait permis de se défendre — en trahissant la confiance de ses sources — soit il se « laisse traiter de mauvais journaliste ». « J’avais promis à la famille Mitterrand que je ne les citerais jamais», raconte t‑il. Il choisit cette seconde option, au nom de la protection des sources qui est « entière, irrévocable, de longue durée. »
Garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, la protection des sources est définie par la Cour européenne des droits de l’homme comme une « condition essentielle au libre exercice du journalisme et au respect du droit du public d’être informé des questions d’intérêt général. » Elle est l’une des valeurs fondatrices de la déontologie et de l’éthique journalistique, qui figure dans la charge professionnelle de 1918. Elle permet de révéler des informations sensibles, d’intérêt public, sans médiatiser des sources qui pourraient être mises en danger. Tout en reposant, en même temps, sur un autre principe fondateur de la charte : la vérification des faits évoqués avant leur publication.
«Il y a des gens que l’on convainc de céder un document ou de dire quelque chose qui les met en danger. Cela peut leur faire courir un risque de réputation, d’ennuis familiaux ou professionnels », témoigne Laurent Valdiguié un an après. « Il y a des sources qu’on ne doit jamais révéler, même quand on a des ennuis », poursuit le journaliste. Une position confortée par le cofondateur d’Ebdo, Laurent Beccaria, qui soutient le journaliste dans les pages de Marianne : « Les faits n’ont pas été démentis : la plainte existe (…). Je serais mortifié s’il y avait des erreurs. Mais ce n’est pas le cas. Je suis serein. »
« Un coup médiatique » ?
Fallait-il publier cette affaire, qualifiée par le ministre de « rumeurs ignominieuses », alors que la plainte n’avait jamais abouti ? Que les faits remontaient à plus de vingt ans ? “L’affaire Nicolas Hulot” n’est pas seulement critiquée pour son manque de rigueur : on lui reproche aussi de se pencher sur une affaire classée sans suite par la justice, une décennie plus tôt. Comme le révèle BFM TV, le procureur du tribunal de grande instance de Saint-Malo en poste à l’époque a aussi confirmé que les « faits dénoncés n’apparaissaient pas établis ». « Dans un monde de rumeurs, le doute profite désormais à l’accusation, la justice ne compte plus ! », s’insurge Nicolas Beytout, fondateur de l’Opinion.
D’autres éditorialistes se demandent également si ces révélations ne relèvent pas d’un “coup” éditorial, destiné à booster les ventes du magazine. Le “numéro Hulot” s’est écoulé à 30.000 exemplaires en kiosques, soit 5.000 de plus que d’habitude… et deux fois plus que le numéro post-Hulot. La rédaction, incarnée par Patrick de Saint-Exupéry et Constance Poniatowski, s’est pourtant défendue de tout « coup médiatique ». « Nous sommes journalistes, nous avons une information confirmée. Si vous ne la mentionnez pas, vous faites quoi ? C’est le travail du journaliste de dire. Bien sûr que c’est dérangeant, mais c’est une information. » Dans Marianne, Laurent Beccaria abonde : « La vérité, quand elle vient, elle peut déranger, mais je ne vois pas pourquoi je l’occulterais. »
Une accusatrice anonymisée… mais pas anonyme
Mise au courant très tardivement, à cause de la nature sensible et confidentielle de l’article de Laurent Valdiguié et Anne Jouan, la rédaction se déchire. « Il y a eu une crise quand les journalistes ont découvert le sujet, car personne n’était au courant en amont. Une partie de la rédaction, proche des revues XXI et 6 mois, loin de ce journalisme d’enquête, a mal réagi », explique Laurent Beccaria dans son interview à Marianne. Les réticences des journalistes sont multiples. La contrariété, d’abord, de n’avoir été mis au courant qu’au moment du bouclage, loin des promesses d’Ebdo de travailler en équipe. Le sentiment, pour beaucoup, que l’article n’a pas sa place dans les pages d’Ebdo, qu’il ne correspond pas à sa la ligne éditoriale. Enfin, des désaccord éthiques.
Le premier : que le seul témoignage soit en off. Alors qu’une affaire de viol est souvent une affaire de « parole contre parole », celle de l’accusatrice est anonymisée. Avec un fort décalage avec la visibilité de l’accusé, une personnalité souvent en tête des sondages de popularité, d’autant plus qu’il occupe à l’époque un poste au gouvernement. Dans les couloirs d’Ebdo, on cite des cas précédents d’« affaires sexuelles » revélées au grand jour : DSK, Baupin, Ramadan… À chaque fois, au moins une des accusatrices parle ouvertement.
Un autre point de crispation relevait du fait que l’anonymat de la plaignante pouvait difficilement être garanti. Dès la publication, son identité est d’ailleurs révélée par Le Point et Le Parisien, qui confirment une rumeur persistante : il s’agit de Pascale Mitterrand, la petite fille de l’ancien président de la République. Auteure de la plainte déposée en 2008 contre Nicolas Hulot, elle affirme rapidement dans un communiqué qu’elle n’a « jamais souhaité médiatiser » cette affaire, et avait souhaité rester anonyme.
La fin d’Ebdo
L’ancien ministre de la Transition écologique et solidaire porte finalement plainte pour diffamation contre Ebdo, Laurent Valdiguié et Anne Jouanen mars 2018, avant de la retirer en décembre 2018. Le procès, demandé par le parquet, n’aura finalement pas lieu. Les deux auteurs de l’enquête, comme ils l’expliquent à Libération, voient dans ce revirement du ministre une preuve que sa plainte était « un coup de com’» et une « instrumentalisation de la justice ».
En revanche, “L’affaire Nicolas Hulot” n’a pas été sans conséquences pour le tout jeune hebdomadaire. En interne, l’affaire a créé une véritable guerre des clans. Les journalistes se sentent floués, le dialogue est difficile. En externe, Ebdo est déjà en échec commercial : il n’a que 8 000 abonnés, au lieu des 70 000 espérés. La publication de cette enquête fragilise encore un peu plus l’hebdomadaire.
Libération révèle aussi que l’affaire Hulot a fait “fuir” un investisseur indispensable. « Son retrait a provoqué l’annulation de l’augmentation de capital de deux millions d’euros (…) En cascade, les crédits bancaires de 4 millions d’euros sur lesquels les fondateurs du journal comptaient aussi n’ont pas été débloqués. » À court de trésorerie, Ebdo est mis en cessation de paiement au bout de deux mois, marquant la fin de son éphémère aventure.
Les journalistes, dont beaucoup avaient quitté des médias où ils étaient en poste depuis longtemps, ont dû ressortir leurs CV. Certains ont fait le choix de travailler en freelance, comme l’auteure de l’enquête Anne Jouan. Laurent Valdiguié, lui, est aujourd’hui grand reporter chez Marianne.