Le live-tweet, qui permet de rapporter un procès en direct sur Twitter, est une pratique de plus en plus courante. En l’absence de codes journalistiques, les chroniqueurs judiciaires ont chacun leur méthode. Objectif : rester déontologique malgré l’instantanéité de l’exercice.
Janvier 2018, le procès de Jawad Bendaoud, présumé logeur des djihadistes du 13 novembre 2015, fait la une. « Pourquoi je mentirais ? Que je mente ou pas je suis fini. (…) Qui m’achèterait de la cocaïne ? » : les petites phrases du prévenu sont reprises en boucle sur Twitter par une partie des journalistes présents à l’audience.
Le “procès Jawad” n’est pas une exception. Aujourd’hui, pour un procès avec dix journalistes présents, environ la moitié live-tweete. Concrètement, ils retranscrivent en direct dans de courtes publications le contenu des échanges qui ont lieu à l’audience sur le réseau social Twitter. Si une loi de 1954 interdit toute capture d’image et de son, les journalistes sont libres de rendre compte du déroulé des séances de façon écrite. La pratique du live-tweet est parfaitement légale et elle est devenue un exercice journalistique à part entière.
Corinne Audouin, journaliste au service police-justice de France Inter, est l’une des pionnières du live-tweet. Citations, ambiance, réactions… Sur le réseau social, elle narre le déroulé des audiences qu’elle couvre mais aussi les coulisses et les à‑côtés. Loin de la traditionnelle chronique judiciaire. À l’origine, une « frustration » née en 2012 lors du procès de l’affaire Marina, petite fille morte sous les coups de ses parents. La lecture d’une lettre de la petite sœur de Marina est un moment fort que la journaliste n’a pas pu aborder à l’antenne, faute de temps. Alors, « je l’ai live-tweeté et je n’ai jamais arrêté depuis. Je raconte à la radio 5 % de ce que je tweete », explique-t-elle. Pour elle, Twitter constitue une plateforme d’expression complémentaire au format court de la radio.
“C’était déchirant”. on a tous dans l’oreille les cris de Sabrina, ce matin. Cela correspond totalement à ce qu’on a entendu ici. #Rançon
— corinne audouin (@cocale) March 15, 2018
Hélène Sergent, journaliste à 20 Minutes, va plus loin. Pour elle, ce type de narration permet « une interaction intéressante avec les lecteurs ». Elle explique sentir une «appétence des internautes qui posent des questions sur les déclarations et les citations. » L’occasion de clarifier certains éléments et donc de faire de la pédagogie de façon plus interactive.
Des journalistes assez libres
Difficile pour de nombreux journalistes judiciaires de se passer de Twitter, les rédactions l’ont bien compris. Mais la pratique n’est pas codifiée. Les rédacteurs en chef laissent la liberté à leurs journalistes d’établir leurs propres règles de live-tweet : « Ni reproches, ni rappel à l’ordre, explique Jean-Philippe Deniau, chef du service police-justice de France Inter, je laisse mes journalistes assez libres ».
Une liberté dont les live-tweeters profitent. En l’absence de codes, chacun adopte un style différent. Certains publient des tweets très factuels, tandis que d’autres se permettent des commentaires sur l’ambiance, les réactions de la salle d’audience et l’attitude des avocats et des jurés. Une journaliste de radio généraliste raconte qu’elle rapporte l’ambiance de la cour, en mêlant « questions précises, tons employés, réactions du public ». Elle tente d’allier sérieux et plus léger, y compris lors de procès éprouvants comme celui du tueur en série Francis Heaulme en mai 2017 : « Quand il y a de la tension, il arrive que quelqu’un explose de rire nerveusement. Je mets alors un gif animé pour restituer ce qui se passe et mettre un peu de légèreté. »
✔ Tarnac #ouch pic.twitter.com/q9R4dtrAC8
— Pair Stéphane (@pairIDF) April 12, 2018
Mais, contraints par le format de Twitter qui limite les messages à 280 signes, les live-tweeters sont toujours obligés de faire des choix dans les propos rapportés. Hélène Sergent, de 20 Minutes, défend malgré tout cette pratique : « On essaie de ne pas tronquer [les échanges], mais on est obligé de synthétiser sur la forme ». Elle donne l’exemple d’une plaidoirie, longue parfois de plusieurs heures : « Le texte est composé de démonstrations, de la rhétorique, des orientations etc. » Dans ce cas, impossible d’être exhaustif.
C’est justement ce qui pose problème à Ondine Millot, chroniqueuse judiciaire à Libération jusqu’en 2016. Par choix, la journaliste n’a jamais tweeté pendant un procès. Pour elle, le live-tweet offre une vision réductrice de l’audience. Exemple avec le procès de Jawad Bendaoud en janvier. Selon elle, les tweets se focalisaient sur « les vannes » lancées par le prévenu : « Mais est-ce le fond du problème ? Non. Les gens ne retiennent que cela, personne ne sait s’il était logeur ou pas. »
Des tweets, mais pas sans filtre
Live-tweeter ne veut pas dire oublier sa responsabilité de journaliste. Le travail de sélection des informations et de pédagogie reste le même. « On entend tout dans une cour d’assises, des choses qui sont faites pour être entendues dans cet endroit mais pas répétées sans filtre, indique Corinne Audouin de France Inter. C’est notre métier de sentir ce qu’on peut partager : on est le médiateur entre l’information brute et les gens ». Hélène Sergent, de 20 Minutes, évoque le souvenir d’un procès à Melun en septembre 2015. Des parents étaient jugés pour avoir placé leur fils de trois ans dans une machine à laver. L’enfant était décédé. Des images de son corps sont montrées aux jurés : « J’ai simplement tweeté que le président diffusait les photos, sans rentrer dans le détail […] Les détails choquants ne sont pas le cœur du procès. »
Pour Ondine Millot, l’un des travers du live-tweet est le manque de distance du journaliste avec ce qu’il partage : « Nous, vecteurs d’informations, avons besoin d’un temps d’analyse et d’écriture pour comprendre ce qui se joue. » Corinne Audouin le reconnaît : « Le danger sur Twitter, c’est qu’on a parfois besoin d’une oreille extérieure. » La différence avec un papier traditionnel est majeure : les tweets ne sont pas relus par les rédacteurs en chef. Le journaliste a la seule responsabilité de décider ce qu’il partage sur son compte personnel. Live-tweeteuse en série, Corinne Audouin assure ne jamais poster sans prendre de recul : « J’écris tout dans un carnet d’abord et je tweete ensuite : c’est une première sécurité. »
C’est surtout dans le cadre de procès pénaux que les journalistes se fixent des limites. Hélène Sergent, de 20 Minutes, s’impose des règles. Par exemple, dans le cas où les parties d’un procès sont mineures, les journalistes présents à l’audience déterminent ensemble un pseudonyme, utilisé sur Twitter et dans les articles, pour préserver l’anonymat des concernés.
Autant de précautions qui ne sont pas prises par tout le monde. Les journalistes ne sont pas les seuls à se prêter à l’exercice du live-tweet : certains militants présents dans le public commentent aussi les procès. Illustration en décembre dernier lors du procès de l’ex-secrétaire d’Etat George Tron, soupçonné de viol et d’agression sexuelle en réunion. Des membres du public ont tweeté pour remettre en cause l’impartialité du président de la cour. L’audience a été finalement reportée, par crainte que ces messages militants n’influencent les jurés. Ce genre d’incidents incite certains présidents de tribunaux à réclamer l’interdiction des live-tweet pour tous, journalistes compris.
Clara Cristalli, Jeanne Daucé, Juliette Desmonceaux